#Pasdevague dans le monde enseignant : symptôme d’un mépris généralisé

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Les raisons de la colère
                                                                                                                                                                      par JO (texte et dessins)

Depuis que le mot dièse « pas de vague » a envahi les réseaux sociaux, une autre vague, d’indignation, elle, a déferlé, permettant de libérer la parole de milliers d’enseignants. Mais, de l’enseignant menacé par un flingue factice à celui harcelé par des parents d’élèves sous prétexte qu’il n’enseigne pas comme ils le voudraient, il y a un abîme. C’est ainsi tout un éventail de menaces, de faits scandaleux qui sont sur la toile dénoncés de façon réellement inquiétante, laissant exploser ce tabou qui demeure un secret de polichinelle dans nos établissements scolaires : la violence. Et quelle violence ! En parcourant le « hashtag » sur Twitter, où le phénomène est né, on se rend compte que les faits de violence physique et psychologique sont nombreux, trop nombreux : insultes, menaces, insolence, irrespect vis-à-vis de l’enseignant. On trouve des enseignants en détresse, dépassés parfois par leur métier, qui, rappelons-le pour ceux qui pourraient confondre école et garderie, consiste à transmettre un savoir, non à faire le flic. Or, il apparaît que nombre d’enseignants ont abandonné une partie de leur mission pour s’adonner à la discipline, laissant de côté les exigences programmatiques bien évidemment impossibles à tenir en ces circonstances.

« Vous ne gérez pas bien votre classe ! »

Mais la véritable intention du « pas de vague » est de dénoncer l’inaction de l’administration face à ces violences, ou plutôt l’omerta qui règne au sein de la hiérarchie, souvent au fait de ces actes de violence (via des signalements, obligatoires en cas d’incident). Quand, depuis des années, les directeurs académiques reçoivent des promotions pour avoir fait fermer des classes, on comprend que l’objectif de l’administration n’est pas le bien-être de l’enseignant, mais plutôt une optimisation financière, qui passe par des classes surchargées, une baisse des dotations aux collectivités (donc des moyens matériels), et une précarisation du métier d’enseignant, dont 4 % sont déjà « contractuels », et donc possèdent un statut équivalent au privé[1]. De nombreux enseignants rappellent que les supérieurs hiérarchiques, IEN et conseillers pédagogiques, retournent les problèmes de discipline contre les enseignants, préférant leur reprocher leur mauvaise gestion de classe plutôt que reconnaître les conditions parfois ubuesques dans lesquelles ils enseignent. Culpabilisation, relativisation, voire étouffement, soulignent l’indifférence généralisée au sein du ministère de l’Éducation Nationale.

Si le phénomène d’indiscipline touche nombre de collègues, à divers degrés, il est associé à plusieurs autres problématiques que des années d’inaction ont contribué à aggraver : l’augmentation incessante du nombre d’élèves par classe, l’arrêt du dispositif « Plus de maîtres que de classes », pourtant utile au décloisonnement et à la prise en charge d’élèves en difficulté, le nombre insuffisant des AESH (Accompagnants des Éleves et Situation de Handicap), problématique soulevée par le récent coup d’éclat du député Ruffin. Mais, au-delà des conditions de travail, le statut de l’enseignant est sans cesse remis en cause par les politiques mises en œuvre, et sans cesse pointé du doigt. De Sarkozy, avec « Les profs ont 6 mois de vacances par an », à l’infantilisation des enseignants par Blanquer, allant jusqu’à préconiser la taille des lignes pour les cahiers d’écriture, l’enseignant est peu valorisé, souvent accusé de ne pas s’investir à fond et de ne penser qu’aux vacances, idées souvent partagées par une partie de la société. De fait, des mesures scandaleuses telles que le gel du point d’indice passent inaperçues, mais reflètent un mépris du monde enseignant par sa propre hiérarchie, en l’occurrence ici l’État, pourtant garant de sa défense. Quant aux dernières mesures du gouvernement pour endiguer et prévenir la violence, on croit rêver : pas de baisse du nombre d’élèves ni augmentation du nombre d’AESH ou d’éducateurs spécialisés pour encadrer les élèves à problèmes, non, rien de tout ça mais…
des policiers ! Oui, des policiers dans les établissements; des armes et des uniformes pour lutter contre la violence, c’est parfait

« Vous cherchez un peu, vous aussi »

En parcourant un peu les commentaires qui répondaient aux cris de détresses du monde enseignant, j’ai eu le loisir de voir des réactions pour le moins inquiétantes, bien qu’elles expliquent en partie les comportements de certains élèves. Ainsi, à la description du harcèlement d’une enseignante par des parents d’élèves parce qu’elle refusait de faire la Fête des Mères dans sa classe, on lui a répondu par moult arguments qui remettaient en question sa pédagogie (rappelons-les : l’enseignant dispose de la liberté pédagogique), au lieu de condamner les injures et les agressions verbales dont elle avait été victime. Autrement dit, elle l’avait bien cherché, la garce !

À l’heure du hashtag (tiens, un autre) #metoo, cela reviendrait à débattre sur la longueur de la jupe face à une victime de harcèlement sexuel. Absurde ! Mais… lorsqu’un enseignant se fait agresser, insulter, ou simplement n’arrive pas à gérer sa classe, c’est sa faute. D’où mon hypothèse que le mépris du métier d’enseignant est général, dépasse les classes sociales et les partis politiques ou les générations : il est un phénomène sociétal.

Ce phénomène sociétal cache un autre phénomène que nul n’ose admettre : nos enfants ne sont pas les mêmes qu’il y a 30 ans. La société n’est plus la même. Confrontés aux technologies, dont on connait les conséquences parfois néfastes, aux évolutions sociétales, à des conditions économiques différentes, les enfants ont un rapport distinct à la société, à leurs pairs, aux adultes. Le rapport à l’autorité n’est plus le même non plus. De là, on peut s’interroger sur l’éducation des enfants. S’il n’est pas rare, par exemple, qu’un enfant de grande section ait dans sa chambre une télévision, on peut s’interroger sur les répercussions sur son sommeil, et, partant, sur son comportement. Les études sont pourtant nombreuses. Nombre d’élèves violents le sont dès la petite section, et il n’est pas rare que les parents soient eux-mêmes dépassés (on me l’a déjà signalé). Cela pose un tout autre problème, dont l’enseignant n’est ni responsable ni n’a la formule magique. Tout comme enseignant, parent est un métier, un métier difficile, de longue haleine, à vie, mais un métier pas toujours pris au sérieux…

Le métier d’enseignant, disons-le, est un métier qui ne fait plus rêver. Si on laisse de côté le salaire, qui figure parmi les plus bas de l’OCDE, la fonction même d’enseignant a perdu de sa valeur, de son aura, de son prestige. Qui n’a pas, de près ou de loin, été témoin d’une petite plaisanterie à l’égard des profs, de leurs vacances trop longues, de leur salaire confortable, de leur petit confort de fonctionnaire, ou simplement des grèves et des arrêts maladie, dont ils abusent à l’envi ? Pourtant, ce sont des poncifs que certaines études (fort peu nombreuses, hélas !) démontent aisément. La dernière en date qui m’a particulièrement interpellé est cette étude comparative, consultable en ligne, de l’absentéisme dans le privé et dans le public[2]

. Croyez-le ou non, les fonctionnaires sont moins malades que les salariés du privé… Et c’est édifiant : l’on apprend, notamment, que le nombre d’enseignants à s’absenter dans la semaine pour des raisons de santé ne s’élève qu’à 2,3 %, quand la moyenne dans le secteur privé est de 3,6 %. Bon, à titre personnel, cela m’est égal. Il ne s’agit pas de montrer du doigt le privé, dont certains secteurs connaissent des conditions de travail qui expliquent largement l’absentéisme qu’il peut y avoir. Comment ne pas aborder les médias, lorsqu’on parle de poncifs ? Combien de fois n’ai-je pas entendu à la radio des sondages où l’on demandait si « les enseignants ne sont pas à la hauteur », ou s’ils sont « trop nombreux » ? L’émission Les Grandes Gueules, pour ne citer qu’elle, est une spécialiste en la matière ; quand elle ne parle pas de femmes voilées ou des bobos qui mangent végan, elle jette l’opprobre sur les enseignants. Ben oui, avec toutes les vacances qu’ils ont, de quoi se plaignent-ils encore, ces fainéants ? Il n’en demeure pas moins que les poncifs véhiculés par les médias vont dans le sens de ce mépris généralisé des enseignants qu’on entretient, comme on attise un feu. Alors, plutôt que regarder l’incendie en se croisant les bras, si on s’interrogeait sur l’origine de la violence au sein de l’école, en bannissant celle qui existe à l’extérieur de ses murs ? Si on s’interrogeait sur les moyens de prévenir la violence des enfants en fixant des exigences éducatives préexistant aux conditions d’apprentissage ? Si, tout simplement, on réhabilitait l’école comme lieu privilégié de socialisation, d’apprentissage et de respect ?

[2]https://blog.francetvinfo.fr/l-instit-humeurs/2016/03/19/les-profs-moins-absents-que-la-moyenne-des-salaries.html?fbclid=IwAR30O7dzXKlFvRBp2GRbxSgLnlB5v9eVk-BxNLvWEbsKtenDalh_V3bzFIs , blog de l’instit’humeur, hébergé par franceinfo.tv

[1]https://www.francetvinfo.fr/economie/budget/enseignants-comment-limiter-le-nombre-de-contractuels_2779823.html